"Etudes de cinéma à Vincennes.
Filmographie : Glissements/diaphragmes (1974), Double épaisseur (1974), Discontinuité (1974), Distorsion (1975), Parcours (1975), Courbes (1975), Scandés (1974-77), Chantilly (1976)."
Trente ans de cinéma expérimental en France (1950-1980), Dominique Noguez, A.R.C.E.F, 1982, Paris.
Patrick Delabre participe dès 1974 au mouvement du cinéma expérimental français : travaux filmiques dans le cadre de l'atelier-cours dirigé par Guy Fihman et Claudine Eizykman à l'université de Vincennes, cofondation de la Paris Films-Coop, coopérative de cinéastes. L'artiste "déménagera" ensuite successivement de Paris à San Francisco, puis de San Francisco à Chicago , marquant ainsi dans une uvre totalement cohérente des époques de l'art et de la vie.
Entre 1974 et 1976 il réalise six petits films aujourd'hui rassemblés sous le titre de Scandés. Six propositions filmiques qui initient l'oeuvre ultérieure et qui ont en commun le renoncement à la fonction reproductrice de l'appareil de prises de vues au profit de procédures presque primitives d'interventions directes ou de déplacement du matériau issu de la caméra. Delabre préfère assurément le "bricolage" aux instruments high tech pour réaliser des patchworks d'images. Cette méthodologie est d'ailleurs emblématique du personnage : frêle, fragile, mais une lucidité exemplaire sur le décalage l'opposant au monde le confirme dans une présence fantomatique et un humour sarcastique. Ses films sont à son image. Il utilise de préférence les ciseaux et le Scotch, découpe une bande filmique et la recompose en un nouvel ordre, enrichissant l'effet visuel d'un mouvement erratique ou d'un redoublement de l'image sur elle-même, avec la matérialité de l'adhésif et de la ciselure sur la pellicule transparente. Réalisé en 1976 en collaboration avec l'auteur de ces lignes, Chantilly constitue dans la démarche de Patrick Delabre une étape importante, en dépit des contraintes inhérentes à toute collaboration. Dans ce film, il met en oeuvre la délinéarité d'un ordre successif au profit de la multiplicité et de la concomittance d'événements abstraits - il y subit en revanche la rigueur de la composition rythmique que je lui imposais, en bon adepte qu'il est du désordre cagien
Patrick Delabre "refera" d'une certaine manière Chantilly avec Simultanés/ Circonstances (1977) : retour aux ciseaux et au Scotch, maintien d'un dispositif polyvisuel.
Les films de Patrick Delabre répondent une éidétique de l'esprit et succèdent généralement à des considérations d'ordre philosophique : la complexité du rhizome énoncée par Deleuze en opposition à la linéarité du syntagme de Chomsky a amené Patrick Delabre, à partir de Chantilly, à développer une sorte de "simultanéisme infinitésimal" sur lequel il ne cesse de revenir. Autre contamination philosophique, celle de Michel Foucault que Delabre rencontrera à la fin des années soixante-dix. Il produira d'ailleurs une installation 4 x 4 (multiécran de 4 x 4 images) à partir d'un texte médiéval sur la torture que le philosophe avait publié en raturant certains mots, Obliteration Systems. Une boucle sans fin est projetée sur un agrandissement du texte accroché au mur en guise d'écran, sur la base du principe d'équivalence. A mot raturé correspond mot dévoilé ou caché dans le film, mot dit ou chuchoté sur la bande sonore. La cinématographie de Delabre a évolué, après son départ de Paris, au sein de l'Art Institute de San Francisco, vers la création de pièces multimédias performatives. Ainsi Gridded Scroll (présentée en 1984 et 1986 à la Cinémathèque de San Francisco et à Colab) reprend certains principes de la pièce Oliteration Systems en faisant intervenir le public qui choisit lui-même certains éléments graphiques de la pièce. L'écran n'a plus ce statut de matière inerte qu'on lui dévolue habituellement mais devient lui-même un objet esthétique évolutif et ouvert au public :image sur image qui esthétiquement parlant n'est pas sans rappeler Le corbeau et le renard de Marcel Broodthaers. Une autre pièce (supertemporelle comme diraient les lettristes) associe à une de ses séquences filmées exploratoires (séquence d'un cerisier en fleur réalisée aux Etats-Unis au moment où il s'y installait) un jeu éducatif pour les petits enfants, composé de formes simples (carrés, triangles, cercles) auxquelles l'artiste donne des attributs de langage (mots) énoncés par le spectateur actant. Retiré de la vie publique depuis une dizaine d'années et installé à Chicago, son travail se synthétise : essais de gravure sur pellicule puis reprise des installations faisant intervenir les projections lumineuses sur des images-écrans, initiées sur la Côte Ouest. Delabre travaille actuellement sur une série de douze films, Patterns in a Circular Frame à partir de séquences de dessins abstraits obtenus par frottage. "
Jean Michel Bouhours dans L'art du Mouvement, édition Centre Pompidou, Paris, 1996, p.120.