"Les lumières s'éteignent, le projecteur démarre, des lettres apparaissent et disparaissent sur un mur blanc, si vite qu'on lit à peine "Opus I, symphonie en trois mouvements", le compositeur, si je comprends bien à pour nom Butting, le peintre, Walter Ruttman.
Et c'est le peintre qui importe. Drapé dans l'obscurité de la pièce, il est parmi nous. Je l'ai aperçu brièvement avant que le changement de lumière ne plonge nos existences dans le néant de l'écran blanc. Grand, hagard, un type américain, d'âge incertain, des paupières d'insomniaque sur son regard transcendant, il répondit aux questions curieuses par un sourire désemparé de ses lèvres fines.
Maintenant son travail parle pour lui, sans mots, sans son, par des formes changeantes. Les douces nuances des surfaces -bleu-ciel, rouge crépusculaire, vert d'aube- jouent selon les lois rythmiques, se changent en formes géométriques, monochromes et bi-dimensionnelles : angles, carrés, cercles, lignes vacillantes. Des langues de feu, mordantes, le disque solaire s'embrasant, cramoisi, puis disparaissant, des nuages stylisés menaçants qui s'enfuient, des balles colorées roulant comme des ballons d'enfants, des vagues blanches rugissant crescendo, avec des pattes écumantes d'ours polaires, recouvert d'un leitmotiv d'arabesques en forme de dauphins.
Les concepts de peinture des sons ou de couleur des tons musicaux semblent littéralement accomplir leur signification, le contenu et l'esprit du morceau musical s'expriment dans le mouvement continu silencieux, des formes et des couleurs du film."
Leonhard Adelt, in Berliner Tagblatt, 21 avril 1921.