"Peintre, sculpteur, photographe, Man Ray est né en 1890 à Philadelphie aux Etats-Unis. Il découvre à la grande exposition de l'Armory Show à New York en 1913 la peinture de l'avant-garde européenne et notamment le "Nu descendant l'escalier" de Marcel Duchamp. L'année suivante, par auto-nomination, l'artiste advient : Man Ray, Homme Rayon de lumière. En 1920, avec Marcel Duchamp, il filme le pubis d'un modèle nu au fur et à mesure qu'il est rasé, puis réalise un film stéréoscopique. Ces deux essais sont perdus. C'est en France, où il arrive en 1921, accueilli par Tzara, Breton, Rigaut, Soupault, Picabia, qu'il réalise l'ensemble de son oeuvre cinématographique. Le cinéma, plus que l'un des arts qu'il pratique hors du système industriel comme un artiste-artisan, est l'art qui débride ses conceptions artistiques, par lequel et dans lequel il innove : le cinéma sans caméra et les Ciné-rayogrammes avec son premier film Le retour à la raison en 1923, les jeux d'optiques et de récits, par-delà la narration selon Man Ray lui-même : " Pas d'histoires, pas même de scénarios, chaque film offert au public est l'aboutissement d'une manière de pensée aussi bien que de voir", dans Emak Bakia ("Fichez-moi la paix" en basque) en 1926, Etoile de mer en 1928, Les Mystères du Château du Dé en 1929 - puis c'est l'expanded Cinema ou le cinéma par delà les conditions de la projection standard, tel le Bal blanc en 1930, film de Méliès projeté par Man Ray sur les invités vêtus de blanc du bal donné par le Comte et la Comtesse Pecci-Blunt. La deuxième période cinématographique est marquée par les premiers home-movies ou cinéma personnel pour lesquels Man Ray expérimente les nouveaux formats 16 et 9,5 mm et les premières pellicules couleurs : Autoportrait (1930), Courses landaises (1935) et La Garoupe (1937) dans lesquels Man Ray filme ses amis Picasso, Eluard, Lee Miller, Dora Maar, et un essai pornographique-saphique Deux femmes (1937).
Man Ray est associé aux films Entr'acte (1924) de René Clair, Ballet Mécanique (1924) de Fernand Léger (finalement réalisé avec Dudley Murphy), Jeux des reflets et de la vitesse (1924-25) de Henri Chomette pour la version préalable, Anémic Cinéma (1926) de Marcel Duchamp, Paris Express (1928) de Pierre Prévert, L'Essai de simulation du délire cinématographique en 1935 sur un scénario de André Breton et Paul Eluard dont il ne reste, avec Combat de boxe (1929) et Brancusi, que des photos et témoignages - enfin Ruth, Roses and Revolvers (1947) de Hans Richter pour lequel il écrit le scénario.
Man Ray passera les années 40 aux USA et particulièrement à Hollywood, où il refuse les propositions de l'industrie cinématographique qu'il considère trop fragmentaires et limitées. Ses films resteront des oeuvres personnelles et il n'envisage que les collaborations "plaisantes" comme celles de Albert Lewin pour qui il réalise le portrait d'Ava Gardner qui figure dans Pandora. En 1951, Man Ray revient à Paris et s'installe Rue Férou. En 1963, il publie son Autoportrait dans lequel un chapitre entier est consacré au cinéma. Ce n'est que dix ans après sa mort, en 1986, que la première rétrospective intégrale de ses films se tient à Paris à l'initiative de Cinédoc au cinéma des Trois Luxembourg et à la Fondation Mona Bismarck. A cette occasion, Paris Express, Autoportrait, Courses landaises, La Garoupe et Deux femmes sont restaurées après avoir été retrouvés - Emak Bakia, Etoile de Mer et Les Mystères du Château du Dé sont sonorisés selon les instructions laissées par Man Ray."
Claudine Eizykman, Un Cabinet d'Amateur, Cinémathèque Française, mars 93